Nathalie Bouyssès

« Royan Fréquence… ça balance. » J'entends encore le fameux jingle émis inlassablement au cours de toutes ces années. Et je me pose la question : « Pourquoi un tel engouement, une si intense passion à l'égard de cette radio à laquelle nous vouions tous un si grand culte ? Et surtout comment, un élan aussi vif a-t-il pu s'estomper peu à peu ? »

Lorsque je suis arrivée en été 1982, la station avait déjà un an d'existence. Les animateurs alors en place étaient les véritables pionniers de l'Aventure R.F. J'avais 17 ans, autant dire un bébé tombé du landau et catapulté dans un nouvel univers qui me fascinait. De plus, j'avais l'impression d'être dorlotée par mes aînés. Rien pourtant n'était évident au départ. J'évoluais dans un monde très masculin et à part Marylou, qui était la femme de François-Jean (ce qui est très différent), j'étais la seule fille. En tout cas, la toute première qu'on ait collée derrière une table de mixage, en lui disant : « Débrouille-toi ». Alors, évidemment, on fait ce qu'on peut. Jusqu'au jour où quelqu'un se décide à vous former un minimum et à vous donner des conseils. L'encadrement s'est avéré efficace et peu à peu, on m'a confié des tranches horaires et des « techniques ». Du reste, à R.F, chacun était capable de réaliser entièrement sa propre émission, de la programmation musicale à l'animation antenne, tout en maîtrisant bien l'aspect technique. De ce fait, c'était une très bonne école. On arrivait même à se faire plaisir tout en contentant les auditeurs, pour peu qu'on eût des goûts un tantinet variés. Parce que le respect de l'auditeur, c'était primordial. On savait tous très bien quel auditoire on voulait cibler. Et même si nous avions des personnalités différentes, nous avions tous le même esprit « Royan Fréquence », parce que cet esprit-là, il existait bel et bien ; il suffisait d'écouter la radio pour s'en rendre compte. Il y avait finalement une certaine unité dans cette diversité. Je trouve épatant que sur une même antenne aient pu se côtoyer des émissions traditionnelles, comme on en trouve sur toutes les bonnes FM, avec des programmes parfois très branchés de musique punk tels que ceux proposés par Patou ou par les Crazy Ducks. Les émissions culturelles, animées par des bénévoles, fidèles ô combien ! étaient toujours mûrement préparées. Grâce à Jacques, on a pu vivre des heures de jazz exceptionnelles, tant par l'érudition de cet animateur, que par ses compétences à rendre son émission accessible à tous. Les émissions littéraires de Yolande étaient un vrai régal. J'éprouvais un réel plaisir à lui tenir compagnie le dimanche, à chercher des disques en rapport avec les sujets qu'elle traitait. Et même si le « Apostrophe » de Pivot du vendredi soir servait de conducteur, elle apportait tout de même une touche très personnelle. Peut-être grâce à cette émission certains ont-ils découvert et apprécié certains auteurs chouchous de l'époque ?

Mais je ne savais pas qu'on entre en radio presque comme on entre en religion. Pour moi, tout ce qui était vie extérieure n'existait pas. D'ailleurs, on ne s'en rend pas compte au début, ce n'est que plus tard, lorsque la passion s'étiole, qu'on réalise jusqu'où on pouvait aller. Évidemment, j'y passais toutes mes journées, mes week-ends, mes vacances. Ceci dit, personne ne m'a jamais forcée à un tel dévouement. Depuis le matin très tôt, j'étais là. Il faut dire que la tranche 7-10 qu'on m'avait confiée me satisfaisait pleinement. Jamais je ne m'étais sentie plus à mon aise. Les studios étaient pratiquement déserts, le téléphone ne sonnait pas sans arrêt. Qui plus est, je savais que c'était un horaire de grande écoute et j'en avais des échos qui me motivaient. De l'extérieur, évidemment, parce qu'au sein même de la station, il ne fallait pas être à l'affût de compliments.

Pour ce qui est de l'ambiance, je crois qu'au début, nous étions tous très enthousiastes, passionnés, prêts à nous consacrer corps et âmes à R.F. Le fait de pouvoir s'exprimer à la radio était nouveau, de plus, la musique était florissante en ce début des années 80 et notre discothèque a dû faire pâlir de jalousie pas mal d'autres FM, tant elle était bien approvisionnée. Je connais des animateurs qui se seraient entretués pour avoir l'exclusivité d'une nouveauté envoyée par une Maison de Disques. Certains rusaient jusqu'à les cacher pour en avoir la primeur. Jean-Luc, par exemple, ramenait de Londres, des disques qui ne sortaient en France que quelques mois plus tard. Et il avait le flair pour les dénicher.

Hors antenne, comme nous étions nombreux, forcément il y avait des personnes avec lesquelles on avait davantage d'affinités qu'avec d'autres, mais dans l'ensemble, tout se passait bien. J'ai même de sacrés souvenirs de crises de rire. C'était un lieu vivant où il se passait toujours quelque chose. Mais je crois qu'au fur et à mesure que la radio s'est modernisée, professionnalisée et surtout commercialisée, le fameux engouement est retombé. Le souci principal était devenu le financement de la radio, l'argent. Il en fallait toujours plus. Un véritable tonneau des Danaïdes. Les animateurs salariés se sont serré la ceinture pour pouvoir conserver cette radio à laquelle ils étaient très attachés. Puis, peu à peu, le charme s'est dissipé. Il fallait devenir rentables. On nous en demandait toujours davantage. On faisait des heures et des heures d'antenne pour remplacer untel ou untel. La motivation n'y était plus. Souvent, à 10h, alors que je croyais en avoir terminé, Philippe (le Boss de cette belle entreprise qu'a été R.F) appelait pour demander qu'on le remplace parce qu'il volait de rendez-vous en réunions. C'était fréquent. Le travail accompli n'était plus du tout reconnu. Il fallait se montrer d'une disponibilité à toute épreuve. Las, conscients qu'ils pouvaient réussir ailleurs, les animateurs s'en sont allés les uns après les autres. Et au bout d'un moment, votre tour arrive, où pressée comme un citron, vous craquez et partez sans crier gare.

Rétrospectivement, lorsque je repense à ces années R.F, en ce qui me concerne la période 82-86, j'éprouve toujours une certaine nostalgie de tout ce que nous avons pu vivre ensemble et envers les personnes qui s'étaient lancées dans cette belle aventure. Je repense à Alain, à Boule, à François-Jean et Marylou, à Jean-Luc, à Philippe bien sûr et aux autres.

Depuis, à plusieurs reprises, j'ai refait de la radio, sur d'autres ondes parce que ça me démangeait. Mais la sensation a été très différente, et jamais je ne me suis sentie autant impliquée. Et puis ce côté « Royan, vacances, soleil… », c'était si peu commun. À l’instar de tout le reste, c'est ce qui donnait aussi sa singularité à R.F.

Nathalie Bouyssès

 

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